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DE CHARTIER CREATEUR D’HARMONIES

Combien d’arômes avez-vous sentis dans votre vie?

Oct 11, 2020

L’importance fondamentale des arômes dans l’acte de manger et de boire

L’arôme est l’aspect qui nous procure le plus de plaisir et de satisfaction dans l’alimentation. Néanmoins, lorsque vous avez le rhume, vous dites ne rien « goûter ». Pourtant, ce ne sont ni votre bouche ni vos papilles qui sont congestionnées, mais votre nez. Les arômes sont les aspects de la nourriture et des boissons que nous connaissons le moins. Du côté performance aromatique, nous sommes très loin du requin qui, malgré sa piètre vision, peut sentir ses proies à plus de 10 km de distance ! C’est pourquoi les vieux marins le surnommaient le « nez nageur ».

Dès notre plus jeune âge, on nous enseigne à parler et à nous déplacer, puis à lire, à écouter et à reconnaître les sons, à regarder et à analyser les visages, les images et les paysages ; mais on ne nous dispense pratiquement aucun enseignement sensoriel sur ce que nous sentons 24 heures sur 24…

L’univers des arômes est le laissé-pour-compte de la condition humaine. Selon les historiens, nous aurions délaissé notre odorat au profit de la vue et de l’ouïe, depuis que nous avons commencé à nous tenir sur nos jambes et depuis le développement de notre vision tricolore. 

Heureusement, grâce à la société des loisirs que nous avons construite, nous sommes plus ouverts que jamais à de nouveaux aliments, de nouvelles saveurs et de nouveaux arômes. Je dirais même que les pays occidentaux, et plus particulièrement le Québec et l’Amérique du Nord, sont au cœur d’un puissant éveil sensoriel. Le chemin parcouru depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale est énorme. Et comme les arômes ont l’invisible pouvoir de pénétrer l’inconscient, à notre insu, pour notre plus grand plaisir, un nouveau monde aromatique s’offre à nous.

Les arômes du vin, de la bière ou des spiritueux, par exemple, sont assurément ceux qui passionnent et interpellent le plus le consommateur, tant chez le novice que chez le connaisseur ou le découvreur. Les tanins et l’astringence des vins sont des notions plus vagues à saisir. Les parfums, eux, sont plus « sexy », invitants, festifs, inspirants, prenants, intrigants…

Subjective l’olfaction ?

J’entends souvent parler de subjectivité dans le domaine des arômes. L’olfaction n’est pas plus subjective que l’ouïe! Pour les parfumeurs, il n’y a pas de mauvaises odeurs. Pour preuve, tous les parfums contiennent certaines molécules répulsives (la civette, par exemple) qui, une fois dosées avec maestria, viennent complexifier le bouquet, et même magnifier le parfum.

De même en musique. Avez-vous déjà entendu un chef d’orchestre ou un musicien dire « Je n’aime pas le do majeur ou le si bémol » ? Toutes les notes ont leur place dans un accord comme dans une symphonie. Toutes ne dominent pas, mais participent à créer du « beau », comme le fait le principe d’harmonies et de sommellerie aromatiques.

Lorsque l’on entend une œuvre musicale, il est possible de reconnaître son compositeur ou son interprète. Lorsque l’on regarde une toile, on reconnaît la signature de l’artiste-peintre. De même lorsque l’on déguste ou que l’on sent un grand parfum comme Chanel No 5. Ici, pas de subjectivité. Il y a une signature aromatique, comme il y a une signature visuelle et une signature musicale.  

Pourquoi en serait-il autrement avec l’olfaction ? Dès que nous sentons quelque chose, nous identifions, sans le savoir, l’atome au cœur de la molécule ! Lorsque vous reconnaissez une odeur d’œuf pourri, sans avoir l’œuf dans vos mains ou dans votre champ de vision, vous identifiez le composé soufré dominant derrière l’odeur de l’œuf périmé. Pourtant, il n’y pas que cette molécule aromatique dans un œuf pourri.  

Votre nez va droit à l’essentiel pour reconnaître que l’odeur provient d’un œuf pourri. Le nez humain est un vrai spectromètre ! Alors, faites-vous confiance, car la subjectivité fait plus référence à l’appréciation personnelle d’une odeur qu’à un raisonnement logique. Même si je tentais de vous convaincre que ce cabernet franc dégage une puissante odeur de framboise ultra raffinée, vous ne pourriez apprécier ce vin si vous avez horreur des framboises. Ça, c’est la partie subjective.

Combien d’arômes

Vous êtes-vous déjà posé la question? De votre première « tétée » de lait maternel au parfum vanillé à votre verre de vin d’hier soir, en passant par l’odeur de l’encre du papier récemment imprimé et celle vaguement herbacée de la crème à raser, tout comme celle plus musquée de la litière de votre chat, combien d’arômes avez-vous sentis depuis votre naissance ?

700 ? 6 000 ? 15 000 ? 50 000 ? Voire plus…?  

Un tiers de nos gènes, donc de notre ADN, est consacré à l’olfaction. Ce qui est énorme! Seul le système immunitaire utilise autant de gènes pour nous défendre. Ceci supporte la thèse voulant que l’odorat aurait été au cœur de la sélection des espèces et de notre développement au fil des millénaires.

Le nombre d’arômes que nous pourrions sentir le plus souvent cité est de 10 000 composés volatils (molécules aromatiques, traduites par des odeurs ou des arômes). On lit souvent que le commun des mortels pourrait, au fil de sa vie, reconnaître quelques milliers d’odeurs, tandis que les experts, particulièrement les grands nez de la parfumerie, atteindraient le chiffre de plus ou moins 10 000 arômes.

En fait, personne n’a jamais vraiment calculé les odeurs perceptibles par le nez humain. Quand on y réfléchit longuement, 10 000 arômes pour décrire l’ensemble du règne végétal et animal qui peuple notre planète, cela semble plutôt faible… 10 000 mots pour nommer toute la complexité aromatique des fleurs, des herbes aromatiques, du feuillage des arbres, des fruits communs et exotiques, des poissons, des viandes animales, des huiles essentielles, des vins, des bières, des eaux-de-vie, sans compter les réactions de ces aliments lors de leur cuisson et de leur harmonie avec les liquides (vins, bières…), et de leur transformation au fil du temps et du contact avec l’oxygéne.

S’y ajoutent les dizaines de milliers de molécules aromatiques de synthèse créées par l’homme… Imaginez un instant, seulement dans l’univers des parfums, plus de 250 marques sont mises en marché chaque année dans le monde, chacune contenant de 50 à 200 odeurs différentes, souvent avec des dizaines de nouvelles molécules aromatiques.  

Il y a un grand fossé entre notre réelle capacité aromatique au quotidien et ce que nous pensons pouvoir sentir. Prenons l’exemple des nombreuses roues des arômes créées pour catégoriser les arômes de certains produits de consommation.

La roue de la bière aurait été la première à voir le jour en 1970, à la suite des travaux du défunt chimiste danois Morten Christian Meilgaard. Cette roue brassicole comportait 44 descriptifs, classés en 14 catégories. N’y aurait-il pas plus de 44 odeurs perçues dans l’ensemble des bières du monde ? Bon, donnons une chance à cette roue !  

La roue des arômes du vin, signée en 1984 par Ann Noble, affiche 94 descriptifs aromatiques (cassis, chêne, noix de coco, poivre…), divisés en 12 catégories (fruitée/boisée/animale…). Pourtant, on a mis en lumière à ce jour l’origine aromatique de plus de 800 composés volatils (molécules odorantes) du vin, tout en sachant qu’il existe beaucoup plus de parfums pouvant se retrouver dans les multiples styles de vins élaborés aux quatre coins du monde. Sans compter l’évolution et la trasnformation de ces arômes lors de l’évolution des vins en bouteilles.

Notez qu’il existe plusieurs autres roues des arômes, dont celle du chocolat (créée en Suisse), du miel (Europe), du fromage (avec seulement 75 descriptifs!), du brandy (Afrique du Sud) et du sirop d’érable (Québec). Sans oublier celle des parfums naturels (par Mandy Aftel). Toutes aussi informatives que restrictives les unes que les autres.

Pourtant… Comme le dit le biophysicien Luca Turin, spécialisé dans l’étude de la science de l’odorat et des parfums : « Il existe des millions de molécules hypothétiques! Prenez toutes les possibilités : carbones multipliés par doubles liaisons, multipliées par les versions isotopes de l’oxygène, méthyles attachés aux propylées liés aux éthyles, et ainsi les possibilités aromatiques deviennent stratosphériques. » .

Les molécules aromatiques sont partout !

Lorsque vous dégustez un vin et que vous vous délectez d’un repas, vous sentez et mangez des molécules. Lorsque vos rôties brûlent dans le grille-pain, vous en êtes avertis par les molécules aromatiques de fumée carbonisée qui entrent dans vos cavités nasales. Lorsque vous vous faites un shampoing sous la douche et que ça sent le melon ou les herbes fraîches, ce sont les molécules aromatiques dudit shampoing qui parfument vos cheveux. Lorsque vous entrez chez le fleuriste et que vous êtes bombardés d’arômes fleuris, ce sont les molécules aromatiques qui émanent des fleurs qui touchent vos cils olfactifs en circulant librement dans l’air. Les molécules sont partout.

En fait, les molécules aromatiques sont des composés organiques responsables des arômes de ce que vous buvez et mangez, tout comme les parfums des fleurs et des plantes, et les odeurs nauséabondes des ordures, des fromages âgés et des poissons « trop mûrs ».

L’olfaction est sélective

Plus ou moins 400 molécules aromatiques composent la tomate ; pourtant, seulement une quinzaine sont réellement perçues par l’humain. Le café compte environ 800 molécules, mais l’humain n’en perçoit que 27, et il suffit de 16 de ces molécules pour recréer l’odeur exacte du café.

Donc, l’olfaction est sélective et va au plus important, vers les molécules dominantes signant le profil aromatique des aliments et des liquides. Ceci confirme la thèse de ma science des « Harmonies Moléculaires » ayant pour principe de base la synergie aromatique qui s’opère lors de la rencontre de molécules dominantes de même famille entre deux aliments ou un aliment et un liquide.

Alors, ayez le nez aux aguets !